D’abord, la maison de Victor Hugo, dans le Marais, puis celle de Balzac, à Passy, dans le XVIe. Un arrêt à la Fnac pour bouquiner et un tour dans la Grande Roue des Tuileries. Enfin, une visite guidée de la Ville lumière sur les pas du Père Goriot et une balade au cimetière du Père-Lachaise. Diabolo-menthe, café, vin, steak-frites et cochonnailles en sus.
Il y avait un moment que je n’étais allée à Paris. Et voilà qu’en février l’occasion se présentait. Mais Paris en trois jours, alors que toute une vie ne suffit pas pour découvrir la capitale française, c’est bien court. Mieux valait se concocter un itinéraire.
Pourquoi pas la littérature pour thème ? Tant d’écrivains ont mis sans hésiter Paris sur scène.
On pense à Victor Hugo (Notre-Dame-de-Paris), à Honoré de Balzac (Le père Goriot), à Guy de Maupassant (Bel-Ami), à Émile Zola (L’assommoir), à Simone de Beauvoir (Mémoires d’une jeune fille rangée), à Raymond Queneau (Zazie dans le métro), à André Gide (Journal des faux-monnayeurs), à Georges Perec (Je me souviens), à Ernest Hemingway (Paris est une fête) et à bien d’autres encore.
Mais en trois jours seulement, avec l’intention de flâner dans les cafés, les bistrots, sur les places, il fallait se limiter à deux des grands écrivains du XIXe siècle : Hugo et Balzac. Deux virtuoses du romantisme ayant eu une solide estime et une grande admiration mutuelle.
Quant aux monuments classiques, tels que Notre-Dame-de-Paris, la tour Eiffel, le Sacré-Coeur de Montmartre, le Louvre — au fait, il faudrait quatre jours pour visiter à lui seul ce musée, à raison de dix secondes par oeuvre —, le musée d’Orsay, l’opéra Garnier, le Panthéon, la Bastille… je les apercevrais sûrement, de près ou de loin, dans la brume du matin ou au coucher du soleil.
Et, bien que la froidure hivernale à Paris rougisse les joues, rien n’empêche, foulard au cou et tuque sur la tête, de déambuler sur les quais de la Seine, de flâner dans le jardin des Tuileries et de grimper dans sa grande roue pour un étonnant tour d’horizon de la ville, à 70 mètres.
Un hôtel bien particulier
Se loger, d’abord. Paris est grand. On me conseille un petit hôtel charmant dans le XVIIe arrondissement : le 10 Bis, rue du Débarcadère, un ancien bordel devenu un délicieux hôtel boutique 4 étoiles.
« Vous connaissez l’histoire de Katia la Rouquine ? demande Karim Massoud, le charmant propriétaire du chic hôtel de 23 chambres, dont deux suites. Cette tenancière féministe a piloté avec brio sa maison de plaisir — inaugurée dans les années 1950 — jusqu’en 2014. »
Celle que le Tout-Paris appelait « Lucienne Goldfarb », « Lucienne Tell », « la Mondaine », « Katia, virtuose des indics » — en échange de tuyaux fournis à la police des moeurs, celle-ci fermait les yeux sur ses activités de proxénète — fut encore plus célèbre que Madame Claude pour son sens des affaires et de la justice, et une folle d’opéra. Ne la cherchez pas car, aujourd’hui âgée de 92 ans, Katia a pris sa retraite.
« Je cherchais un hôtel et j’ai découvert un joyau du patrimoine parisien, explique Karim Massoud. Les tabourets en léopard, les nains de jardin, les banquettes et les murs rouges ont attisé ma curiosité. Je visitais l’immeuble un vendredi soir et je signais le lendemain matin à 10 h. »
L’hôtel, élégamment rénové, conserve dans chaque pièce un élément de décoration d’époque : appliques, miroirs de sorcière, poufs… Et on trouve à la réception des ouvrages qui racontent l’histoire de Katia la Rouquine, ainsi que celle de Paris et de ses nuits au siècle dernier.
Installée au calme dans le quartier Saint-Ferdinand-des-Ternes, le 10 Bis se trouve à dix minutes à pied de l’Arc de triomphe et des Champs-Élysées, à 15 minutes de la Fondation Louis Vuitton, de la Fnac, avenue des Ternes…
Même si le Québec a ses librairies, bouquiner à la Fnac est toujours un grand plaisir et commence agréablement un séjour à Paris, surtout si l’on choisit de partir sur les pas d’auteurs qui ont vécu dans la Ville lumière. On y trouve une belle sélection de guides qui proposent des circuits ainsi que des ouvrages de chercheurs férus d’écrivains qui n’ont cessé d’écrire Paris. Comme Le Paris de Hugo par Nicole Savy et Les Parisiens comme ils sont, un recueil de chroniques de Balzac présenté par Jérôme Garcin.
Deux ouvrages délicieux qui entrent dans une poche de manteau et qui décrivent la vie à Paris au XIXe siècle selon ces grands génies du romantisme de l’époque.
La maison de Hugo
La carte du métro de Paris en main, cap vers la station Argentine, à deux minutes du 10 Bis. Puis, direction Saint-Paul, le Marais. Cette station de métro dessert la rue des Rosiers, la rue Saint-Antoine, le début de la rue Rivoli et la place des Vosges, où niche la maison de Victor Hugo.
C’est au deuxième étage d’un hôtel particulier, le Rohan-Guémené, que vécut l’écrivain. Entre 1832 et 1848. Seize années de vie mondaine, politique et familiale dans ce lieu où il reçoit ses amis Lamartine, Alfred de Vigny, Alexandre Dumas, Honoré de Balzac, Prosper Mérimée… Il y écrit notamment une partie des Misérables. L’appartement se présente sous forme de sept pièces en enfilade et suit les trois grandes étapes de sa vie : avant, pendant et après l’exil à Guernesey.
L’antichambre explique sa jeunesse et les premières années de son mariage avec Adèle Foucher, le salon rouge, son séjour place des Vosges, alors appelée place Royale, le salon chinois et les trois pièces qui suivent l’exil à Guernesey et Jersey, puis le retour de la famille à Paris en 1870. La dernière salle reconstitue la chambre mortuaire en 1885, dans son appartement, rue d’Eylau.
Le logement du premier étage expose par roulement les 600 dessins que possède le musée sur les 3000 que Victor Hugo a exécutés. Puis, une exposition consacrée à son poème La pente de la rêverie lui rend hommage jusqu’au 27 avril. Cette oeuvre visionnaire annonce les textes de l’exil, tels Contemplations, Légendes des siècles, Dieu. La fin de Satan…
Pourquoi le choix du Marais ? « Pour être au centre de Paris, se rapprocher d’amis tels Théophile Gauthier, pour la beauté de la place Royale, par amour pour les vieilles pierres, les briques et les arbres », écrit Nicole Savy. Comme Balzac, Hugo connaissait bien Paris, il a déménagé souvent mais n’a jamais eu à vivre incognito pour esquiver les huissiers.
La maison de Balzac
Ainsi, en 1840, fuyant les créanciers, Honoré de Balzac déménage dans une petite maison du village Passy, au dernier étage d’un hôtel particulier collé contre la paroi d’une ancienne carrière. Si l’écrivain apercevait un huissier dans son jardin, il pouvait descendre par un escalier intérieur des étages habités par des ouvriers et des lingères et s’enfuir par la porte arrière.
Si on s’intéresse à Balzac, ce musée est un bijou. On en ressort avec une meilleure connaissance de l’homme et de sa prodigieuse oeuvre de 90 ouvrages : La comédie humaine.
Cap vers la station de métro Passy, ligne 6, celle qui monte jusqu’à l’Étoile. À Passy, dur, dur de se perdre, même si c’est un plaisir à Paris, car le musée est indiqué depuis la station. C’est donc ici, dans cette dépendance de la rue Raynouard (anciennement rue Basse) devenue musée — où l’écrivain a résidé pendant sept ans sous un faux nom —, qu’il rédige la plupart des livres qui composent cette oeuvre magistrale, dont l’écriture s’est échelonnée de 1829 à 1850.
La maison de Balzac présente des souvenirs personnels de lui et de sa famille. Des éditions originales, des manuscrits, des tableaux, des gravures et des illustrations aussi. Parmi les objets qui attirent l’attention, il y a son bureau, une petite cafetière et une canne à turquoise.
Le bureau, car c’est ici qu’est née La comédie humaine et qu’il y a écrit et récrit ses textes. Un galérien de la plume et de l’encre. « Quand je vous écris que je n’ai pas le temps de prendre de moi-même des soins de toilette vulgaires, vous ne me croiriez peut-être pas ? Mais songez que 13 à 18 heures de travail ne suffisent pas, et que j’ai toujours écrit 13 à 16 fois la même page », écrit-il à Ève Hanska, une fervente admiratrice avec qui il engagea une correspondance qui dura 17 ans.
La petite cafetière, car sans café, il aurait peiné à écrire de longues heures. Chaque jour, Balzac se levait à minuit et écrivait pendant 15 heures d’affilée. Pour rester éveillé, il absorbait une cinquantaine de tasses de café par jour. Un café fort concocté pour lui, qu’il buvait à la turque.
Et la canne turquoise, car ce petit bonhomme ventripotent, qui se prenait pour un dandy, se devait d’avoir une belle canne lors de ses promenades. Il se baladait et se pavanait avec elle comme si elle était son sceptre et qu’il était, lui, le maître du roman français, le « roi des écrivains ».
Le père Goriot
Une promenade guidée de quatre heures sur les pas des personnages du Père Goriot complète bien ce séjour. Elle commence au métro Censier-Daubenton, non loin du quartier latin, pour se terminer dans le fameux cimetière du Père-Lachaise, devant la tombe de Balzac.
Mais quel cimetière ! On peut s’y balader toute la journée et se recueillir sur les tombes de gens venus de tous les coins du monde. Ce grand parc doit bien raconter deux siècles d’histoire européenne. La tombe de Chopin serait continuellement ornée de guirlandes, Yves Montand et Simone Signoret partagent une simple pierre tombale, celle de Jim Morrison attire les foules…
L’histoire du Père Goriot se déroule en 1819 à Paris, dans la pension bourgeoise de Madame Vauquer (rue Haute-Sainte-Geneviève) où résident les personnages principaux. Il y a le père Goriot, un vieillard qui a consacré sa vie à ses filles Delphine de Nucingen et Anastasie de Restaud ; Eugène de Rastignac, un jeune homme sans grande fortune ; Vautrin, le forçat surnommé Trompe-la-mort ; la vicomtesse de Beauséant, Victorine Taillefer, Bianchon, Christophe, Sylvie…
« Ce roman aborde avant tout le thème de l’amour paternel poussé jusqu’à la déraison, explique Elke Caumartin, guide et propriétaire de l’entreprise À la découverte de Paris. Balzac y présente une vision globale de toutes les couches sociales de la société parisienne, des plus démunis aux plus riches. Une belle oeuvre, mais affreusement triste, qu’il a écrite en 40 jours. »
Tout ça donne faim ! Il est 20 h et la file est encore longue — apparemment, elle ne dérougit pas un seul soir depuis 20 ans. Entrons à la brasserie Le Relais de Venise-L’Entrecôte, renommée depuis des lunes pour sa formule entrecôte à la sauce secrète, frites allumettes et salade verte/noix. Les grands classiques de Paris ne se démodent pas. Tant mieux !
EN VRAC
Se loger. À l’hôtel 10 Bis, une ancienne maison close devenue un hôtel boutique 4 étoiles. On y passe un séjour sympathique à un jet de pierre du métro, du RER, du Palais des congrès, de l’Arc de triomphe, dans un quartier calme du XIXe arrondissement.
Manger. Tout près de l’hôtel 10 Bis (métro Porte Maillot), au Relais de Venise-L’Entrecôte, si on est amateur de steak-frites. C’est Paul Gineste de Saurs qui a eu l’idée de ce resto en 1959, alors qu’il voulait vendre ses vins de propriété de Toulouse. Il a ajouté L’Entrecôte au nom d’origine, mais il a gardé l’ambiance brasserie d’antan. Sa fille Hélène Godillot a repris l’entreprise familiale.
Pour une expérience gastronomique mémorable, également à deux pas du 10 Bis, le restaurant de poisson Rech, un bistrot créé en 1925 et entré dans l’univers du groupe Ducasse il y a quelques années. On rend ici hommage aux produits de la mer. Le jeune chef Anthony Denon ne fait affaire qu’avec des pêcheurs bretons qui ont de petits bateaux. Et le poisson que l’on y déguste a été pêché il y a moins de 48 heures. Parmi les spécialités du printemps : les langoustines poêlées et relevées avec un peu de piment, du chorizo, du safran et un riz à la valencienne. Et pour les plats signatures de la maison, la sole de ligne épaisse dorée au beurre, pommes rattes rissolées, ou l’aile de raie à la grenobloise…
Goûter. En chemin vers la Maison de Balzac, 29, rue de l’Annonciation (métro Passy ou La Muette), aux « merveilleux » de Fred, ces pâtisseries traditionnelles du nord de la France et des Flandres, à base de meringues enrobées de crème fouettée. En sublimant la recette, Frédéric Vaucamps a su redonner ses lettres de noblesse à ce gâteau qui se décline en six parfums.
Lire. Un arrêt à la Fnac ou à d’autres librairies s’impose lors d’un séjour littéraire à Paris. Pour comprendre vraiment Balzac et les rouages de son écriture, les 11 tomes (collection « La Pléiade ») de La comédie humaine dans son intégrité. Décrivant avec un pareil humour la basse et la haute société française, la province et Paris, les hommes et les femmes, les aristocrates et les bourgeois, les bagnards et les élégants, il n’a épargné personne.
Autre suggestion : Balzac. Le roman de sa vie, de Stephan Zweig (Albin Michel). Et Le père Goriot pour se préparer à partir sur les pas de ses personnages.
Aussi, Notre-Dame-de-Paris et Les misérables, de Victor Hugo. Visite guidée sur les pas du Père Goriot.
Pour une multitude d’informations pratiques sur Paris.
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