Ville mythique aux cent églises, ville ancienne avec ses façades à l'italienne, ses musées et ses palais somptueux, ville jeune et vivante, ville artistique où se perpétue la tradition viennoise des cafés littéraires, ville «vraie» au passé marqué par les guerres, petite ville à échelle humaine... On le voit, Cracovie mérite bien qu'on lui rende visite. Prosze bardzo!
Depuis la tour de l'église Notre-Dame, sur la place du Marché, un trompettiste invisible joue un air nostalgique. Puis, la fanfare s'arrête brusquement, comme si le trompettiste était à bout de souffle. C'est le son du hejnal, en souvenir de la sentinelle qui a tenté, du haut de la tour de guet, d'avertir la population de l'approche des Tartares en soufflant de toutes ses forces dans une trompette. Mais l'ennemi a été plus rapide que lui et une flèche lui a transpercé la gorge dès les premières notes.
C'était en 1241, seul moment dans l'histoire où Cracovie a été saccagée. Depuis, toutes les heures, le hejnal est lancé en direction des quatre points cardinaux de la plus élevée des deux tours de la basilique. Il est aussi transmis en direct à travers la Pologne, chaque jour à midi, sur les ondes de la station de radio Jedynka. Il est clair que le pays aime se souvenir.
Les Cracoviens disent que leur ville doit sa survie à sa grande beauté. C'est vrai. Depuis les temps médiévaux de sa naissance jusqu'à l'ère numérique du troisième millénaire, l'ancienne capitale polonaise a réussi à résister aux attaques des Tartares au XIIIe siècle, des Suédois au XVIIe siècle, des Autrichiens au XIXe siècle, puis des nazis et des communistes au XXe siècle. Les envahisseurs ont toujours préféré l'habiter que la détruire.
«Maintenant, ce sont les touristes qui l'envahissent», plaisante Janusz, étudiant, devant la statue du poète Adam Mieckiewicz, le point de rendez-vous sur la place centrale.
Cracovie est située au coeur de l'Europe, ce qui n'a certes pas aidé à assurer son intimité. Imaginez un voisin traversant chaque fois votre jardin pour aller au dépanneur. Et comme vous offrez peu de résistance, il cueille vos roses, piétine vos plates-bandes et, tant qu'à y être, égorge votre canari au passage! C'est un peu ça, l'histoire de la Pologne.
La ville a ceci d'extraordinaire qu'elle s'est toujours relevée de ses guerres et, chaque fois, elle a repris sa position de plus jolie ville de Pologne. Si belle qu'en 1978, l'UNESCO l'inscrivait sur la liste du Patrimoine culturel mondial. Depuis, la «ville éternelle» cultive ses styles avec bonheur. Chaque maison ancienne est construite sur les ruines d'une autre encore plus ancienne. Les fresques baroques cachent des peintures gothiques peintes sur des bribes de décorations romaines. Mieckiewicz la surnommait la «Rome des Slaves».
La vieille ville est entièrement piétonne depuis les années 70. «Vous comprenez, explique Ewa, notre guide, on veut protéger l'architecture de la pollution causée par les émanations de fumée des voitures mais aussi de la fumée provenant des cheminées des usines d'acier du quartier voisin, Nowa Huta, héritage de la domination soviétique. Au début des années 50, les Russes ont construit cette horrible cité ouvrière, à dix kilomètres de la ville historique, dans le but précis de contrebalancer le poids des intellectuels capitalistes hostiles à leur politique. Les façades des bâtiments étaient si noires qu'on ne pouvait même plus voir les magnifiques ornements sur les façades des monuments.»
Ewa n'avait que six ans au moment de la chute du mur de Berlin. Bien que ses souvenirs soient vagues, elle revoit les interminables queues qui se formaient pour acheter de la viande, des légumes et des fruits quand il y avait des arrivages. Tout cela est maintenant relégué aux oubliettes, même si le pays est encore victime de l'inflation. Les bâtiments retrouvent peu à peu leur couleur d'antan, les comptoirs d'alimentation sont bien garnis et on mange à sa faim. La ville vit et s'amuse, tournée vers l'avenir.
Sur la place centrale, Rynek Glowny, un homme déguisé en Tartare, retient l'attention des touristes, une vieille dame en manteau de laine et béret de feutre de couleur s'arrête pour parler à la vendeuse de bretzels debout derrière son inventaire ambulant, des groupes d'écoliers apprennent sur place l'histoire de leur ville, des musiciens de rue jouent de l'accordéon, du violon ou du violoncelle, ce qui donne à la place un air de fête constant. Sans tuyaux d'échappement, on capte mieux les odeurs du barszcz et du bigos, deux mets typiques de la cuisine polonaise, qui s'échappent des restaurants.
Le Rynek Glowny est décidément l'âme de la vieille ville, une des plus grandes places léguées à l'Europe par le Moyen Âge. Au centre, la Halle aux draps (Sukiennice), symbole de la tradition marchande de la Cracovie médiévale, continue de poursuivre ses activités commerciales, mais avec les touristes. Les arcades actuelles, ajoutées au XIXe siècle au bâtiment de style Renaissance, abritent une quantité de petites boutiques de souvenirs.
Parmi les articles à rapporter, suggérons les bijoux d'ambre et les pantoufles de feutre brodées. Et tant qu'à magasiner dans les Sukiennice, une visite à l'étage au Musée de la peinture polonaise du XIXe siècle est le moment idéal pour se familiariser avec les grands noms polonais comme Jana Matejko, Malczhewski, Gierymski, Chelmonski, Witkacy...
Quant aux monuments, l'imposante église gothique Notre-Dame vaut plus qu'une petite visite. Construite au XIVe siècle sous la protection des grandes familles cracoviennes — Wierzynek, Boner, Montelupi, Cellari —, la basilique possède un ameublement intérieur dont la valeur est inestimable.
Entre autres, le monumental retable sculpté dans du bois de tilleul par l'artiste allemand Weit Stoss au XVe siècle est une pure merveille. Les sculptures atteignent parfois trois mètres de hauteur. Pour voir avec quelle précision le maître d'oeuvre a sculpté les muscles tendus des bras et les rides sur les visages des personnages, il faut toutefois visiter l'église l'après-midi, seul moment de la journée où le retable est ouvert.
Un incontournable: la colline du Wawel, face à la Vistule. Centre politique et administratif de la Pologne pendant plus de cinq siècles, le château qui se présente comme un magnifique palais italien de la Renaissance a servi de résidence aux souverains de la Pologne à partir du milieu du XIe siècle jusqu'au début du XVIIe siècle. Son aspect actuel date du règne d'Alexandre Jagellon et de Sigismond le Vieux. Même après le transfert de la capitale à Varsovie, en 1596, rois et princes, poètes et héros ont continué de se faire enterrer dans la cathédrale, devenue au fil des siècles un véritable chef-d'oeuvre de la Renaissance.
Une collection de tapisseries flamandes liées à l'histoire du Wawel orne les murs du château. Après le troisième partage de la Pologne, vers la fin du XVIIIe siècle, la Russie en a eu la garde temporaire. Lors de la Seconde Guerre mondiale, c'est le Canada qui les a abritées.
En marchant vers la Vistule, on arrive bientôt dans le quartier de Kazimierz, aussi inscrit par l'UNESCO sur la liste du Patrimoine mondial de l'humanité. La rue Josefa mène vers ce qui fut pendant six siècles le quartier juif de Cracovie. Avant la guerre, on dénombrait à Krakow plus de 68 000 Juifs; 2000 ont survécu. Le quartier vidé de la plupart de ses habitants par l'Holocauste, puis abandonné aux plus démunis de la société pendant les 40 années de communisme, reprend peu à peu des couleurs, en partie grâce au tournage du film La Liste de Schindler, de Steven Spielberg, qui l'a triomphalement tiré de l'oubli.
Si les façades décaties sont encore nombreuses, la restauration de maisons laisse entrevoir des lendemains meilleurs. Kazimierz est en train de devenir un des quartiers branchés de la ville et plusieurs agences de tourisme l'ont inscrit dans leurs brochures.
Au numéro 24 de la rue Szeroka, la Vieille Synagogue Renaissance en brique rouge domine à côté du plus vieux cimetière juif d'Europe. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les nazis ont transformé ce cimetière en dépotoir, explique Ewa. Ils ont également utilisé les pierres tombales pour refaire le pavé. Les tombes qui n'ont pas pu être reconstituées ont été cimentées dans un mur dit «du souvenir». Chaque pierre, chaque brique suinte le passé.
Un dîner à l'hôtel-restaurant Klezmer-Hois est une expérience en soi. Sis dans un ancien bain rituel (mikveh), le restaurant est la reconstitution d'un appartement des années 1930. Vous avez le choix: le salon de thé ou la salle à manger. Sur les murs, des portraits d'ancêtres; sur les tables, des bougies et des lampes d'époque qui mettent en valeur l'âge des nappes de dentelle. Le soir, dans la salle à manger, on y joue de la musique klezmer typique de l'entre-deux-guerres. Le canard à l'orange est tout simplement divin!
La fraîcheur automnale de novembre apparaît comme un bon prétexte pour découvrir les bistros. La place du Grand Marché (Rynek Glowny) et les rues adjacentes de la vieille ville comptent des dizaines de cafés. Allez donc savoir pourquoi le chocolat chaud, le thé brûlant et la vodka glacée ont meilleur goût dégustés dans un donjon, une cave, une grotte ou une caverne éclairés à la bougie!
Petit conseil: le café Jama Michalika, au 45 de la rue Florianska. L'élite artistique du début du XXe siècle avait l'habitude de s'y réunir. Verrières, vitraux art déco, murs tapissés de caricatures et de peintures décadentes... L'ambiance y est intimiste et le sernik (gâteau au fromage) pas mauvais du tout.
Mille et une choses encore... Une randonnée de quatre kilomètres dans le parc Planty, un espace vert aménagé à la place des remparts et des fossés qui entouraient la vieille ville, est idéale pour mieux comprendre la topographie de Cracovie et découvrir les monuments et les fortifications médiévales; une virée au Collegium Maius, le coeur historique de l'université Jagiellonski, où Nicolas Copernic et le pape Jean-Paul II ont été étudiants; un saut au musée Czartoryski pour aller admirer la Dame à l'hermine de Léonard de Vinci.
Bref, toute une vie ne suffit pas pour découvrir les joyaux de cette ville millénaire, sans compter que la cité éternelle est la porte d'entrée d'une douzaine d'escapades, chacune avec sa propre histoire. Notons par exemple les mines de sel de Wielicka, également inscrites en 1978 au Patrimoine mondial de l'UNESCO, à dix kilomètres au sud-est de Cracovie: 300 kilomètres de galeries sur neuf niveaux, d'une profondeur de 327 mètres. Ou encore le camp de concentration d'Auschwitz, qui ne laisse personne indifférent.
En vrac
- Je recommande l'hôtel Pod Roza pour qui veut vivre l'ambiance d'un hôtel de charme dans le centre-ville historique. Les seuls bruits que l'on entend de sa chambre sont ceux des pas des piétons sur la dalle et du trompettiste du haut de sa tour de guet. Le petit-déjeuner est copieux et digne d'une table de rois... polonais. (011-48 12) 424-33-00, www.hotel.com.pl.
- Trois restos: restaurant Wierzynek, sur la place centrale. Le premier repas y a été servi en 1364 à l'occasion d'une conférence au sommet des monarques invités par Casimir le Grand; toujours dans la vieille ville, le restaurant Pod Aniolami, sur la rue Grodzka, qui mène de la place centrale au château Wawel. Un dédale de petites caves transformées en une ferme reconstituant l'art de vivre campagnard, ce resto rend bien hommage à la cuisine du terroir polonais; dans le quartier Kazimierz, le restaurant Klezmer-Hois pour l'ambiance de vieille carte postale d'avant-guerre, pour la musique klezmer et pour la carte d'inspiration juive.
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Renseignements
- Consulat polonais, 1500, av. des Pins Ouest, Montréal.
(514) 937-9481.
- www.pologne.gov.pl
- www.krakow.pl
- www.visite-cracovie.com
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